Après la pluie vient le mental…
Nice. Dimanche 3 novembre 2019. 7 heures. Un déluge de pluie s’abat sur la ville, comme si les Dieux grecs voulaient nous défier.
« Ah vous voulez courir un marathon, eh bien pensez à Philippidès, ce valeureux Athénien qui fut le premier à parcourir cette distance, pour annoncer la victoire des grecs contre les perses, il en est mort à la fin, alors ne pensez pas que ça va se passer comme ça ! Oubliez vos fractionnés, vos gels colorés à l’orange et la framboise, place à l’épreuve, la vraie ! ».
Et nous, pauvres occidentaux de pacotille, en tenue fluo et casquettes trempées, nous attendons à l’abri. La souffrance moderne est relative.
7 heures 30. On nous annonce un départ différé à 10 heures. Brouhaha dans la foule. Les étrangers ne comprennent pas. Je traduis en anglais pour mes voisins. Je ne sais pas pourquoi j’ai toujours eu le souci des autres, cela me plaît. 10 heures, c’est tard, cela va remettre en question les plans de nombre de coureurs, attendus par leurs trains ou leurs avions à l’arrivée ! Nos vies vont trop vite, nous en oublions l’imprévu.

Finalement, le Maire de Nice (qui prend le départ lui aussi !) a certainement dû appeler le Préfet « Ne m’annule pas mon événement s’il te plaît ! ». Verdict : marathon maintenu, mais repoussé à 8 heures 30. Nous attendons, sagement. Les coureurs ne sont pas des êtres contestataires. La pluie s’est calmée, comme pour mieux nous inonder au départ.
8 heures 30, départ donné. Le nuage noir corbeau présent sur Cannes s’avance vers nous à la vitesse d’un oiseau de malheur, on voit au loin le rideau dense de la pluie. Faute de gong, le tonnerre sonne le départ. Les éclairs zèbrent la mer, les grondements sourds qui suivent leur répondent. Je n’aime pas l’orage. Je me suis cassée le bras en montagne sous l’orage avec mon père à l’Estrop il y a 20 ans, depuis, je n’aime pas l’orage. Mais nous ne sommes pas à l’Estrop, nous sommes en ville. Cela change tout. Très vite je m’aperçois que je suis une fille de la montagne, du granit et du lichen, le marathon est un sport de ville. Mais aujourd’hui je m’y plais, sur ces 10 premiers kilomètres d’apocalypse, cela m’amuse presque, j’ai une bonne allure, je pense à Micka « Tu mettras 4 heures 20 Mélanie », à ce rythme là je ne devrais pas le décevoir me dis-je. C’était sans compter sur la longueur de la course.
Au bout d’une heure de course la pluie nous abandonne, nous sommes suffisamment baptisés. Puis rapidement, je sens un malaise. J’ai mal au ventre, et à la tête. Cela m’angoisse. Je n’ai jamais mal à la tête. Je m’arrête, je suis malade. Je pense que j’ai pris froid sur le ventre, une barre s’y est gentiment installée, comme un morceau de plomb au milieu du corps. Je pèse 150 kilos. L’intestin est le deuxième cerveau, le mien pense trop, je le savais depuis longtemps mais il me le rappelle. Mince me dis-je, si je prends le mur au 15 ème kilomètre, ce sera dur ! Cela passe un peu, mais je me sens au bout de ma vie au 20 ème kilomètre, comme épuisée, et paniquée à l’idée qu’il m’en reste 22… Je suis sur le point de m’arrêter au semi. J’ai toujours fonctionné ainsi, une forte volonté dans un corps trop sensible… Mon allure ralentit. Je vois mon espoir de ne pas décevoir Micka s’éloigner petit à petit, cela m’attriste.
Je décide alors de changer de plan : m’arrêter à chaque ravitaillement, m’écouter, me réconforter. Et puis les kilomètres s’enfilent, comme des perles que je compte, l’un après l’autre. 26, 27, 28, tu arrives à 30, plus que douze. A ce stade je ne cours plus, je pense. Je cours, je marche, je pense. Je suis dans une forme de souffrance tranquille de l’endurance, où le corps vous porte, où la pensée vous habite, et où les douleurs vous bercent.

Je pense d’abord à Cécile et Marjorie « Prends du plaisir Mélanie ». Alors tant pis pour le chrono, je suis déçue, mais j’irai au bout. Je traverse Antibes pour la première fois de ma vie. Que c’est joli ces maisons à flancs de plage. Je respire. Je regarde la mer. Les vagues elles, ne souffrent pas quand elles se déchaînent ainsi, les éléments ont cette force supérieure à nous, ils sont là, immuables, pour l’éternité, alors que nous nous agitons sans cesse sur notre si petit parcours de vie… Lorsque je souffre trop, je pense à ceux qui ont bien plus souffert que moi. Migrants, juifs, je pense à Anne Franck, cachée dans son petit appartement, déportée à Auschwitz, je pense à Béate et Serge Klarsfeld. Ta souffrance est relative Mélanie, elle est temporaire et festive. Je pense souvent à Ludo Martin, notre héros grec du club, un Hercule des temps modernes qui défie les kilomètres comme Héraclès défiait l’Hydre de Lerne… Je me sens tellement loin de cette force surhumaine ! Lorsque je vais bien, je pense à mes enfants, mes merveilles, Elsa, Aloys, je pense à mon amoureux, qui m’attend à l’arrivée.
Plus la course avance, plus je me sens mieux, malgré une forte douleur au genou gauche qui s’est invitée depuis le 32 ème kilomètre et qui ne me lâchera plus. Et Dieu inventa l’homme, cet être invincible… Il s’est juste planté pour les genoux… 34, 35, 36… Au 36ème une émotion m’envahit, je pleure un peu, je me réfrène car mes parents m’ont toujours dit « Arrête de pleurer, cela te fatigue ! ». Je pleure en l’honneur de mon chemin personnel parcouru au long de ma vie… La course, allégorie de l’existence, l’effort, cette résilience. On se rapproche, 38, 39, 40, je n’ai plus aucun scrupule à marcher, de forts gaillards à mes côtés marchent aussi.
Et puis je finis vite, bien, sans bavure, presque trop bien me dis-je. Si je savais me faire confiance pour me dépasser un peu plus, ça se saurait ! J’aurais aimé finir sous les 5 heures, ce chiffre de 5 heures 3 me laisse un petit goût d’inachevé, mais j’arrive bien, sans essoufflement, juste une fatigue globale du corps, j’accélère même sur le dernier kilomètre, comme un ultime hommage aux fractionnés du stade Jean ROLLAND ! Je vois Freddy, le papa de Carole sur ma gauche, puis Emilie, sa maman, qui me filme, et enfin mon amoureux sur la droite. Je l’ai fait ! Je suis marathonienne.
Ce ne fut pas une course pour moi, j’ai la sensation de n’avoir couru que 15 kilomètres, ensuite je me suis défiée, seule, sans portable sur moi, sans artifice, avec ma conscience comme seul bagage, mes amis comme sentinelles, et mes amours comme espoir. Merci à tous ceux qui m’ont portée, je vous ai senti, au fond de moi. Dans quelques jours j’ai 40 ans… J’avais toujours dit 40 ans, 40 kilomètres… « Nenikekamen ! » a dit Philippidès à son arrivée, « Nous sommes victorieux ! ».
(crédit photo : Organisation, Carole et Xavier)

Bravo Mélanie…..beau récit, belle expérience de vie !
Juste BRAVO.
Magnifique voyage intérieur
Joli récit Mel, félicitation pour ce marathon avec cette météo difficile et t’inquiète pour le chrono, je suis fier de toi, je te dis un grand bravo 👏💋
Magnifique texte Mélanie à ton image beau et touchant je te souhaite en avance un merveilleux anniversaire
Merveilleux , magique récit Mélanie . Quel talent.
Tu es marathonienne pour tes 40 ans, tu l’as fait c est ça le plus important ❤️Tu peux être fière de toi
Félicitations Mélanie ! Et merci de nous avoir permis de partager toutes ces émotions.